Le Grand Raid de la Réunion est aujourd’hui considéré comme l’une des deux épreuves d’ultra-trail les plus mythiques avec l’Ultra-Trail du Mont Blanc. Cette renommée tient autant à la difficulté de l’épreuve, considérée comme l’une des plus exigeante et technique au monde, qu’à la ferveur qui entoure l’événement chaque troisième week-end d’octobre dès lors que l’île de la Réunion se met à vibrer au rythme des pas des coureurs. Car nulle autre compétition de course à pied, fût-elle d’endurance, ne parvient à susciter autant de ferveur et une telle communion à l’échelle d’un territoire. En se prêtant à un travail d’historiographie minutieux, Michaël Mussard, dans un ouvrage récemment paru aux Editions Solar, montre comment la renommée de la Diagonale des Fous et l’engouement qui l’accompagne tiennent essentiellement à l’histoire de la Réunion et de ses habitants. Né sur l’île et fin connaisseur de son territoire, le journaliste et photographe parvient en outre à nous transporter tout au long du parcours du Grand Raid et à décrire finement les différentes paysages et notamment les cirques que traversent la Diagonale, de quoi nous aider à comprendre au mieux l’expérience que vivent chaque année les ultra-traileurs.
Le Grand Raid et la Réunion : une histoire indissociable
Des retransmissions en direct à la radio, le lancement d’une chaîne de télévision locale (Canal Grand Raid) dédiée à l’événement, des affiches ornant les rues … nombre d’éléments attestent de l’immense médiatisation dont fait l’objet le Grand Raid à la Réunion, témoins d’une île qui se met littéralement au diapason de l’événement. On ne peut en réalité comprendre la place qu’occupe la Diagonale des fous chez les réunionnais que par l’histoire récente mais mouvementée de leur île. Le mérite de l’ouvrage est en effet de resituer les contextes historiques et géographiques dans lesquels l’épreuve sportive s’est développée. Du temps de l’esclavage, où les «marrons» s’aventuraient dans les terres hostiles et accidentées de l’île pour échapper à leur condition, à celui plus moderne des premiers randonneurs partant à la découverte de ses cirques, la Réunion a toujours constitué un terreau favorable à l’aventure et la pratique de la course à pied. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les réunionnais s’initient à la pratique du trail dès la fin des années 1980, bien avant l’émergence de la discipline en métropole. Il faut dire que le terrain réunionnais et notamment les différents cirques qui le composent – Mafate, Cilaos et Salazie – à la fois sauvages et escarpés, constituent des terrains de prédilection au développement de la pratique.
De l’épreuve confidentielle à l’ultra à la renommée mondiale
Le Grand Raid étant précurseur dans le domaine du trail et notamment de l’ultra, son histoire est, comme le montre Michaël Mussard, logiquement faite de tâtonnements et de soubresauts, changeant régulièrement de noms et de parcours jusqu’à trouver la bonne formule. La première édition est ainsi lancée en 1989 à l’initiative de Jean-Jacques Mollaret, un ancien gendarme du peloton de Haute-montagne de Chamonix. La « Marche des Cimes » propose alors un parcours de 112 km reliant Saint-Denis à Saint-Philippe, petite ville du Sud de l’île, et réunit seulement une dizaine de « fous ». Des changements de parcours et de nom sont au programme des deux éditions suivantes : la « Grande Traversée » dessine alors un tracé d’environ 120 km reliant le Sud au Nord de l’Île. Ce n’est qu’en 1994 que le Grand Raid prend véritablement ses galons et devient la « Diagonale des Fous ». Le fameux surnom attribué par Bernard Morin, journaliste à Jogging International, permet de donner ses lettres de noblesse à l’épreuve réunionnaise qui survivra en dépit des péripéties et notamment des accidents qui l’endeuilleront (en 2002 et 2012). Cette médiatisation grandissante n’empêche pourtant pas les réunionnais de dominer l’épreuve sur le plan sportif et de truster les podiums tout au long des années 1990, aussi bien chez les hommes (Jean-Philippe Marie Louise, Patrick Maffre…) que chez les femmes (Marcelle Puy, Corinne Favre…). La fin des années 2000 marque pourtant un tournant : si quelques « métros » (Sébastien Chaigneau, Benoit Laval…) commencent à jouer les outsiders, puis à inscrire leur noms au palmarès (Vincent Delebarre en 2006, Julien Chorier en 2009), la première participation en 2010 de Kilian Jornet, figure de proue d’une discipline qui se professionnalise en Europe, fait passer le Grand Raid dans une autre dimension en même temps qu’elle sonne le glas des espoirs réunionnais sur l’épreuve. La densification du niveau, combinée à un allongement du parcours dès l’édition 2012 qui adopte alors le format 100 miles – 170 km et 10 000 d+ -, ne permet plus aux locaux de jouer les premiers rôles d’une épreuve qui devient le terrain de prédilection des meilleurs ultras-traileuses (Andrea Huser, Nathalie Mauclair…) et ultra-traileurs (François D’Haene, Benoit Girondel…) mondiaux. L’auteur montre au final comment le Grand Raid, qui a définitivement adopté son format actuel (avec un parcours menant de Saint-Joseph à Saint-Denis, en évitant désormais le volcan) en 2013, est parvenu à devenir une véritable épreuve mythique et incontournable, jusqu’à lui permettre d’évoluer à l’écart de l’Ultra-Trail World Tour.
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Recensé : Mickaël Mussard, « Grand Raid de la Réunion – Une histoire de Fous – Les 30 ans d’une course mythique », Editions SOLAR, 2019, 24,90 euros.